Jean-Pierre Petit, Exane BNP PARIBAS, directeur de la recherche économique, in AGEFI
30 septembre 2005.
Favorisée par les Etats, les banques centrales et les professionnels, la bulle immobilière est une duperie collective.
Selon les estimations de The Economist, la hausse de la valorisation du patrimoine immobilier résidentiel dans les pays développés a été de plus de 30.000 milliards de dollars au cours des cinq
dernières années, jusqu’au premier trimestre 2005 (dernières données disponibles agrégées), pour s’établir à environ 70.000 milliards aujourd’hui.
La progression des cinq dernières années représenterait environ 100% d’une année actuelle de PIB de ces pays. Sur cette base, elle dépasserait donc les niveaux enregistrés lors des grandes bulles
boursières des années 20 et 90. Ajoutons qu’aucun facteur «réel» n’a pu justifier une telle dérive, ni sur le plan démographique ou migratoire, ni sur le plan macroéconomique, l’environnement
étant resté globalement peu favorable sur la période en terme de croissance (à peine 2% de croissance annuelle sur 2001-2004 dans l’OCDE) et d’emploi.
L’immobilier résidentiel connaît tout simplement une bulle, phénomène fréquent dans ce secteur, historiquement et mondialement. Il y a une loi solidement ancrée en économie: une bulle n’est
toujours définie qu’a posteriori, c’est-à-dire lorsqu’elle a éclaté. Entre-temps, il se trouvera toujours «une armée» d’économistes et d’experts en tout genre pour justifier une tendance qui les
surprend eux-mêmes.
Les bulles persistent car il n’existe jamais de méthodes claires, évidentes ou objectives susceptibles de démontrer leur existence. Par sa propre dynamique, une bulle convainc la majorité que
cette tendance ne peut que se prolonger car elle doit, pense-t-on, certainement être justifiée. C’est sa principale force.
Dans toute bulle, il y a aussi des coupables et des victimes. Les coupables sont connus, les victimes le sont moins. Parmi les coupables, il y a en premier lieu les banques centrales.
Celles-ci sont quasi-universellement chargées de la stabilité des prix. Lorsque la hausse des prix à la consommation approche les 3%, la plupart des banques centrales occidentales resserrent les
conditions monétaires ou menacent de le faire. Lorsque les prix immobiliers approchent les 10, 15, voire 20%, comme ce fut le cas dans les années récentes, les banques centrales ne disent rien.
Cherchez l’erreur!
L’astuce consiste à ne pas intégrer les prix des logements dans les indices de prix à la consommation alors qu’il s’agit, pour l’essentiel, d’un prix représentatif d’un service de logement. Les
banques centrales nous répètent inlassablement depuis trente ans qu’une inflation faible et stable est une condition nécessaire à une croissance saine et durable. C’est d’ailleurs la raison pour
laquelle on leur a octroyé l’indépendance dans de nombreux pays.
Le principe de stabilité des prix devait l’emporter sur les velléités gouvernementales de relancer artificiellement ou provisoirement la croissance en faisant de l’inflation. Or, le logement
est probablement un domaine où une inflation tendanciellement faible et stable est optimale pour les ménages dans le long terme. Les banques centrales ne nous disent pas pourquoi une inflation
traditionnelle à 3% est intolérable alors qu’une inflation immobilière à 10 ou 20% ne l’est pas. Leur faillite est donc ici complète.
Il faut dire, à la décharge des banques centrales, que l’État a tout fait dans les années récentes pour favoriser la bulle immobilière. Par là même, il a pu compenser les effets dépressifs du
«carnage boursier» de 2000-2002 sur les patrimoines. Jouant sur l’effet richesse, le dynamisme des dépenses d’équipement du foyer, la baisse de l’épargne et la hausse de la dette, la consommation
des ménages s’est maintenue, même sans emploi ni hausse salariale.
L’État en a même rajouté. Dans un pays comme la France, où pourtant le traitement fiscal de l’immobilier était déjà favorable, il a décidé de multiplier les programmes de défiscalisation en
faveur de l’investissement locatif, étendu les prêts à taux-zéro, réduit les droits de donation/succession.
La communauté bancaire n’est pas en reste: outre la baisse massive des taux, elle a dans de nombreux pays allongé la maturité des prêts, baissé les exigences d’apport personnel et développé
les contrats à taux variable, participant ainsi à la procyclicité du secteur.
Les professionnels de l’immobilier constituent, quant à eux, des «coupables» logiques. Une hausse à deux chiffres des prix immobiliers pendant plusieurs années dans un pays incapable de créer le
moindre emploi et où les salaires réels stagnent ne les étonne pas. La démographie, les familles recomposées, l’insuffisance de l’offre, tout ou presque aura été avancé pour justifier la hausse
vertigineuse de leur chiffre d’affaires.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de voir l’inflation immobilière perdurer. C’est même le contraire qui eût été étonnant.
Les victimes s’ignorent pour l’essentiel. C’est d’ailleurs le propre d’une bulle que de faire croire aux perdants qu’ils sont des gagnants potentiels ou virtuels.
Heureux de prendre la vague, les primo-accédants confondent l’amélioration de leurs conditions de logement et le fait de devenir propriétaire. En favorisant le surendettement, la bulle fragilise
de nombreux ménages, notamment les plus vulnérables qui gèrent plus difficilement leur cycle de vie (professionnel ou familial).
La bulle fait surtout courir plusieurs risques aux propriétaires: le risque de moins-value, d’illiquidité, de mauvaise diversification du patrimoine (60% du patrimoine investi en immobilier en
France aujourd’hui). Compte tenu de la très forte financiarisation du logement, un achat immobilier constitue aussi un pari sur le marché obligataire. Toute correction obligataire future – ne
parlons pas d’un krach – se traduira par un ajustement récessif sur les prix immobiliers.
La bulle masque aussi les nombreux coûts de la détention immobilière: frais d’entretien et de rénovation, fiscalité (hausse de 5% l’an dernier de la taxe foncière sur le foncier bâti en France).
Notons à propos de la fiscalité que l’immobilier résidentiel constituera certainement l’une des rares bases d’imposition que la concurrence fiscale européenne et mondiale ne touchera pas. C’est
dire que, vieillissement aidant, la détention immobilière a de fortes chances d’être surtaxée au cours des années à venir.
Sur un plan plus collectif, la bulle immobilière réduit la mobilité, détourne l’épargne des ménages des placements à risque nécessaires pour favoriser l’innovation et la croissance. A l’inverse
d’une bulle boursière, une bulle immobilière n’a jamais renforcé la productivité d’un pays. En maintenant aussi artificiellement la demande domestique, elle tend à creuser les déficits extérieurs
(Espagne, Royaume-Uni, France, États-Unis).
Bref, comme tout phénomène inflationniste, une bulle immobilière brouille les choix, favorise le gaspillage, détruit de la valeur et fait donc perdre du temps aux sociétés qui y cèdent. La bulle
immobilière est donc une duperie collective
Source (expert-immo.ch)